Linéarisation



L'un des problèmes majeurs des hypertextes consiste en ce que l'on appelle la surcharge cognitive. Ce qui peut se résumer, au choix, par les questions suivantes : Où suis-je ? et Ai-je bien vu tout ce qu'il y avait à voir ?

J'ai donc décidé de vous livrer dans un ordre subjectif l'ensemble des paragraphes du site, ainsi qu'une carte pour ceux qui voudraient juste y voir plus clair.




§ 1

Le solitaire artificiel est aussi lourd dans ma main que les souvenirs du temps qui passe. Ses arêtes meurtrissent ma paume, écrasent mes phalanges et crispent les muscles endoloris de mon bras. En stase, le regard perdu dans les profondeurs du diamant taillé, je me souviens... D'Elyne et de Kenza. De Jahl, qui pour les avoir trop aimées s'était évertué à les détruire. De Jahl, surtout.

§ 2

Ce n'est pas la lente agonie de la fin qui nous attend. Plutôt un cliché, en pleine apothéose. Et puis quelque chose d'autre, une résurrection, le droit de regarder derrière les murs d'anti-matière, d'aller où vont les tachyons lorsqu'ils s'échappent. Et qui sait... Peut-être même de comprendre un peu ce qui se trame vraiment.

§ 3

Progression, bifurcation, élévation, immanence et transgression sont les cinq dimensions. La quatrième est la somme des trois premières, la cinquième la volonté d'y échapper. Au-delà, les règles changent.

§ 4

Il aimait à définir le cristal comme l'aboutissement des mathématiques cunéiformes associées à la relativité d'Einstein. L'esprit y est piégé comme le corps dans l'univers. Et ces tachyons qui se déplacent toujours plus vite que la lumière...

§ 5

Ce qui maintenait Elyne dans son orbe, c'était cette affirmation de soi, ce besoin de reconnaissance, d'être élu, choisi, ce sens de l'être plus fort que tout égotisme, que toute vanité qui l'animait. Lui ne la considérait que comme le réceptacle de ses ambitions, la châsse et l'écrin de sa personne.

§ 6

L'élément stabilisateur de l'équilibre de Kenza, c'était ce besoin qu'il avait d'aller toujours de l'avant, de progresser, d'être moins que demain et déjà plus qu'hier, cette volonté farouche de changement, de devenir, de se transgresser lui-même. Elle demeurait le témoin de sa progression, sa mémoire, son journal de bord.

§ 7

Comme des électro-aimants reliés à la dynamo poussive de Jahl, leur attirance les repoussait par à-coups, brusquement, pour les rapprocher d'autant.

§ 8

Et les parois avancent ou reculent, avancent ou reculent, à une vitesse prodigieuse. Le bruit blanc de l'univers... Non pas le souvenir d'une émergence, mais l'écho d'une destruction explosive et constante de la matière par son contraire. Ou le grignotement du néant par la création qui déborde et déferle sur l'extérieur. Selon l'humeur.

§ 9

- Il n'a toujours pas donné de signe ?
- Non, toujours pas...

Kenza pose une main sur mon épaule, plonge son regard dans le diamant. Qu'y voit-elle ? Quelle forme, quel message y perçoit-elle que je ne saurais voir ? Elle referme la main sur la mienne, me force à le reposer. Mon bras ankylosé y parvient à peine. Les articulations grincent, les doigts trop serrés se refusent à s'ouvrir. Il faut toute la chaleur de sa paume pour qu'ils reviennent à la vie et s'écartent. Posé sur le bureau, le diamant a perdu de sa symbolique. Pourtant, une étrange impression demeure. Les faces du cristal sont le reflet de parois omniprésentes dont l'existence révèle une menace au-delà de chaque seconde qui passe. L'horizon événementiel est bouché, nous le savons tous deux. Il reste cependant un espoir, de plus en plus ténu.

- Il reviendra, j'en suis sûre.
La main de Kenza a tressailli en l'entendant. Puis elle l'a ôtée.
- Un excès de confiance...

§ 10

Elyne encaisse le coup, fruit d'une trop longue habitude. À chaque rencontre, les réparties fusent. Toujours si délicates en apparence... Elles se jaugent du regard, cherchent la faille, avides. Rien dans leurs gestes ne dévoile cette tension qui les habite, sinon à leur témoin impuissant. Bientôt, elles vont se retourner contre moi, dire mon incompétence, mes lacunes. Alors je les laisserai faire, trop heureux de les voir s'unir, fut-ce à mes dépens.

§ 11

Parfois, je me plais à m'imaginer à sa place. Que voit-il s'il peut voir ? Que ressent-il ? A-t-il seulement gardé sa cohésion là où il s'en est allé ? J'aime à croire que oui. Sa foi en lui-même était inébranlable, elle ne peut l'être qu'encore. Personne d'autre n'aurait pu accomplir cela, n'aurait osé même y songer. Si quelqu'un peut y arriver, c'est bien lui. Mais le peut-il ?

§ 12

Il avait cette agaçante habitude de voir les gens comme des instruments. Il leur attribuait une fonction puis s'en servait tant qu'ils la remplissaient. Parfois, son choix s'avérait être une erreur, l'utilité recherchée ne correspondait pas à la personne. Alors il en changeait. Je crois avoir quelque idée quant à ma fonction. Je lui faisais office de moteur, d'aiguillon, de pousse-au-cul comme il aurait pu dire. Cet aspect de sa personnalité n'était pas assez développé : il le savait et y remédiait à sa manière.


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